L’afro-électro, la musique électronique africaine est en pleine effervescence. Les DJs et les créateurs pullulent et inspirent de plus en plus les Européens. État des lieux sur un phénomène en plein essor.
Lors de son passage à Paris fin mai pour la promotion de l'album Musica da terra, Batuk n’est pas passé inaperçu. Le combo emmené par le producteur et DJ sud-africain Spoek Mathambo a enflammé les esprits avec son afro-house subtile et sophistiquée. A ses côtés, Aero Manyelo a apposé ses rythmes envoûtants sur les voix de Nandi Ndlovu et de la Mozambico-Sud-Africaine, Carla Fonseca. Le combo revenait de Maputo où il a enregistré ce premier disque déjà culte en Europe chez les amateurs de transe africaine. Au-delà de la démarche artistique, Batuk c’est aussi une affirmation politique. "En Afrique du Sud, il y a des gens du monde entier, de l’Afrique entière, mais il y a aussi beaucoup de haine", explique Spoek Mathambo, "Et je serais heureux si notre musique pouvait rassembler ces gens".
Le rythme contre la xénophobie, la culture au service de l’unité, c’est un peu l’ADN de la musique électronique sud-africaine, une musique née dès la fin de l’apartheid et qui a enfanté des mouvements musicaux et artistiques comme le kwaito. Aujourd’hui, les sous-genres d’électro et de house pullulent en Afrique du Sud : le qgom, venu de Durban, la bacardi house, créée à Pretoria par le célébrissime DJ Spoko sur des rythmes quasi militaires ou la shangaan electro, réinventée par le producteur et musicien Nozinja.
Toutes ces variations ont en commun une farouche volonté de conquérir le monde. Et elles y parviennent. "Il y a quinze ou seize ans, nous étions inspirés par un Français, DJ Grégory et sa tribal house. Aujourd’hui, ce qui est intéressant c’est que nous inspirons à notre tour les DJs français", explique sans fausse pudeur Spoek Mathambo. "L’afro-électro se nourrit de la circulation des rythmes et des idées", ajoute-t-il.
Les Lyonnais du label Jarring Effects suivent depuis plus de quinze ans l’évolution de l’électro sud-africaine. En 2007, le double CD Cap Town beats a permis de faire connaître en France, les talents émergents d’Afrique du Sud. L’un des responsables de ce label, Monsieur Mo, est convaincu que l’Afrique est devenue l’une des sources d’inspiration des Européens. "En Afrique du Sud, les artistes sont à l’écoute des musiques du monde. Ils se les accaparent et en font quelque chose avec un groove incroyable. Surtout, ils n’oublient pas leurs racines. Et cela donne une production extrêmement inspirante."
Une musique d’un genre nouveau
Les DJs et producteurs européens d’électro et de house découvrent la puissance des rythmiques africaines qu’ils retravaillent inlassablement. L’Allemand Henrik Schwarz remixe les rois de la high life ghanéenne Pat Thomas et Ebo Taylor avec une certaine jubilation. Mais en matière d’exploration, le précurseur est anglais. Il se nomme Brian D’Souza, plus connu sous le nom de DJ Auntie Flo.
Il y a cinq ans, il a lancé les High Life world series avec l’idée de partir à la découverte d’un pays, d’y croiser les musiciens et d’y enregistrer une musique d’un genre nouveau. Les world series l’ont conduit à Cuba, au Kenya et en Ouganda. L’afro-électro née de ces voyages a pour ambition d’abolir les barrières musicales et de redéfinir le terme même de world music en le débarrassant de ses encombrantes semelles néocoloniales.
La musique de Brian D’Souza n’est pas une musique traditionnelle retravaillée par des DJs mais une véritable fusion où les instruments traditionnels, les boîtes à rythmes et les ordinateurs interviennent tour à tour. Le succès des High life world series est tel qu’il a inspiré des démarches similaires en France, avec le collectif Mawimbi, mais aussi aux Pays-Bas et au Canada.
Depuis trois ans, Dom Peter, DJ français ultra créatif travaille avec la chanteuse malienne Fatim Kouyaté et le joueur de kora Madou Sidiki Diabaté au sein d’un combo électro mandingue, particulièrement étonnant, Midnight Ravers. Un double ADN qui débouche sur une musique hybride et soyeuse alliant balafons, tamas, koras et boucles électroniques. Leur deuxième album Sou Kono est sorti fin mai à Paris. Et la mine africaine est si vaste que les explorateurs en ont encore pour des années et des années à en faire le tour. L’afro-électro n’épargne aucun pays. Au Ghana, Steloo, le "fashion DJ", comme il se définit lui-même, ajoute à l’originalité de sa musique un discours sur le dandysme et la mode vécus comme vecteurs de renaissance culturelle. Toujours au Ghana, l’Austro-ghanéenne Anbuley explore la double face de son identité (autrichienne et ghanéenne) dans une électro dance inspirée à la fois par la musique de club européenne, par les rythmes ghanéens, et le kuduro angolais.
Afro-futurisme Dans l'Afrique ultra moderne, une tendance psychédélique se dessine : l’afro-futurisme. Mouvement culturel venu d’Amérique dans les années 70, il propose une esthétique proche de la science-fiction soutenue par un discours mystico-religieux. Dans le champ musical actuel, il s’agit surtout d’une formidable énergie portée par les beats hip hop. Le Sénégalais Ibaaku et ses compositions psychédéliques font un tabac sur les dancefloors.
Le Tchadien Caleb Rimtobaye, surnommé le Daft Punk tchadien en raison du casque blanc qu’il porte sur scène a mis entre parenthèses sa carrière folk au sein du groupe H'sao pour créer AfrotroniX. Un concept qui mélange à la fois l’afro-électro, les chorégraphies et la vidéo créant ainsi des performances scéniques hors du commun.
L’afro-électro est devenue une valeur marchande mondiale, portée par le progrès technique et la circulation des sons sur les réseaux sociaux. Le développement d’internet a multiplié les possibilités de rencontres musicales tandis que la démocratisation des ordinateurs a offert aux jeunes des villes africaines une alternative aux instruments de musique, souvent encore trop coûteux. Urbaine, métissée et démocratique, l’afro-électro donne à entendre la bande-son d’une Afrique 2.0.
Source: www.rfimusique.com
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